J'aurai vécu, l'âme élargie, 
Sous les visages clairs, profonds, certains 
Qui regardent, du haut des horizons lointains, 
Surgir, vers leur splendeur, mon énergie. 
J'aurai senti les flux
Unanimes des choses 
Me charrier en leurs métamorphoses 
Et m'emporter, dans leur reflux. 
J'aurai vécu le mont, le bois, la terre ; 
J'aurai versé le sang des dieux dans mes artères ; 
J'aurai brandi, comme un glaive exalté, 
Vers mon devoir, ma volonté ; 
Et maintenant c'est sur tes bords, ô mer suprême, 
Où tout se renouvelle, où tout se reproduit, 
Après s'être disjoint, après s'être détruit, 
Que je reviens pour qu'on y sème 
Cet univers qui fut moi-même.
Émile VERHAEREN